Figures de l’usager à l’ère cybériste (4) : du joueur au gameur

Sur les réseaux du numérique,  la figure du joueur change, modifiée par la relation au loisir où les jeux de société classiques sont déplacés par les jeux vidéo sur l’écran devenu console, qui relève d’un type de spectacle où se retrouvent les mêmes phénomènes vus en germe avec les fans et les bloggers : la constitution de communautés, l’utilisation de réseaux sociaux, l’hyper-visualité et le recyclage culturel. Les jeux vidéo sont devenus l’un des plus gros secteurs industriels, qui vendent plus de produits que les films et la musique réunis à Hollyweb. Les premiers jeux grand public ont été imachinés pour tester les effets spéciaux des films, d’où leur hyper-réalité de départ, souvent basée sur l’action et la violence. Depuis, de nombreux autres types de jeux à stratégies différentes sont apparus sur le marché dont beaucoup restent associés à une production filmique, quand ce ne sont pas eux qui en inspirent à leur tour (comme Tombraider). Certains jeux sollicitent des récits engageants sur le mode de la quête (Myst,…), d’autres encore sur le mode de la conquête (World of Warcraft…).

Deux types d’usagers sont à noter, les joueurs et les « gameurs », qui relèvent de la différence établie en anglais entre « play » (le jeu libre et informel, à règles évolutives) et « game » (le jeu motivé et finalisé, à règles programmées). Les gameurs, — certains occasionnels (casual), d’autres compétitifs (hardcore) — bénéficient de deux catégories de jeux, selon les niveaux d’interactivité possible : les jeux par navigateur (browser game) et les jeux de rôle en ligne massivement multijoueur (Massively Multiplayer Online Role-Playing Game ou MMORPG), les deux pouvant mener à la création de communautés virtuelles en-ligne.

Les jeux par navigateur utilisent un serveur pour interagir avec diverses ressources disponibles sur internet et requièrent seulement une inscription en ligne pour ouvrir une session et participer. Les navigateurs de simulation sont les versions les plus utilisées pour cette catégorie, qui inclut surtout des jeux stratégiques, impliquant la gestion de ressources et de personnes (créer une ville, fournir les bases d’une communauté viable, …). L’objectif pour le gameur est de prouver et d’éprouver ses talents de gestionnaire car il faut à la fois faire des profits et satisfaire les individus/sujets dont il a la charge (SimCity, Civilization, Runescape, Age of Empires,…). La simulation audiovisuelle graphique est soignée quoiqu’assez basique, illustrant la progression du jeu et le résultat des actions du gameur. L’interaction tend à être limitée aux classements entre participants pour installer une notion de concurrence ; toutefois elle peut se prolonger par le rattachement à un forum qui permet d’échanger des astuces et des conseils.

Les jeux de rôle en ligne nécessitent la création d’un personnage enligne par le gameur, son avatar. Les participants se rencontrent via leurs doubles dans les diverses zones de l’univers créé par le jeu.  Ils incarnent des personnages spécialisés dans un domaine (magie, combat,…) et sont chargés d’accomplir des misions et de vivre des aventures tout en gagnant des points de vie et des points d’expérience suite à l’acquisition de compétences (Final Fantasy, EverQuest,… ). La simulation graphique est très réaliste et offre une représentation simultanée des divers événements se produisant dans le jeu. L’interaction entre les participants est directe, souvent par un combat, mais peut aussi se faire par des échanges textuels en ligne et du clavardage.  Depuis la fin des années 1990, les univers peuvent fonctionner comme des mondes persistants, connectés 24 h sur 24 et 7 jours sur 7, évoluant même en l’absence des gameurs, ce qui consolide la co-évolution homme-machine.

Par contraste avec les gameurs, les joueurs peuvent choisir des jeux « sérieux » (serious games), utilisant des applications ludiques pour permettre une meilleure assimilation d’informations éducatives et spécialisées, à des fins de formation ou d’entraînement (Virtual University, FoodForce, …). Ils poursuivent donc un but pédagogique, pour confronter l’apprenant à des problèmes à résoudre sans avoir affaire à une intervention trop scolaire ou évaluative. L’interaction se fait ici davantage avec les données qu’avec les personnages.

Les joueurs peuvent aussi s’impliquer dans des jeux de simulation virtuelle de sociétés, qui constituent des mondes à part entière, mais sans scénario ou but précis à atteindre, comme Second Life ou Habbo Hotel. Dans ces sociétés virtuelles, les avatars peuvent interagir selon des règles assez proches du monde réel, et ils participent eux-mêmes à la construction de leur communauté, par la création d’objets virtuels, par l’élaboration de règles de vie. Ils se rapprochent des industries créatives en ce qu’ils ont souvent instauré des taux de change entre la monnaie utilisée dans le jeu et la monnaie réelle, créant ainsi des liens entre économie en-ligne et hors-ligne.

Dans tous ces cas de figure, la nature du jeu est donc modifiée et avec elle la nature du processus de communication et la relation à l’information.  Les jeux sont ce qui rapproche le plus les usagers de la virtualité en tant que simulation, proposant des tests en grandeur nature de situations de la réalité, sans les risques associés. Que ce soit pour de faux ou pour de vrai, le cerveau du joueur peut fonctionner « comme si », par vicariance. Cette suspension temporaire du rapport à la situation réelle se calque sur la théorie des jeux : elle permet, soit  d’accroître ses stratégies au fur et à mesure du déroulement de l’action, soit de développer un plan B par rapport à un plan A.  C’est la réceptivité à la situation imaginaire par rapport à la situation réelle qui fait varier l’intensité émotionnelle ressentie.

La réalité virtuelle vient renforcer ces possibilités du jeu vidéo, spécialement avec des plateformes immersives en 3D, avec des environnements musicaux (Guitar Hero) ou sportifs sports (Pro Evolution Soccer) sur des consoles comme Nintendo, PlayStation, etc. Des jeux plus sophistiqués peuvent faire ressentir les coups portés comme dans Aura Interactor, Virtual Reality Game Wear ou Kinect, qui visent à supprimer tout périphérique pour renforcer encore l’effet d’immersion, transformant le corps du gameur en… manette.  Ces jeux et univers immersifs trouvent des prolongements dans la réalité avec les parcs d’attraction, de plus en plus organisés comme des univers immersifs, comme dans le cas du parc thématique intérieur interactif DisneyQuest, Hollywood étant à la pointe de la recherche en la matière.

La situation d’immersion change la nature de l’information et le processus de communication et d’interaction avec la machine, car elle introduit la mobilité de l’usager à l’intérieur du monde virtuel, par le biais de l’avatar. Celui-ci peut, soit être totalement libre de toute physicalité dans le monde virtuel (il peut traverser les murs comme un fantôme), soit interagir avec l’environnement virtuel (y compris subir les forces de la gravité simulée ou augmentée). Il est associé aux formes de médiation caractérisées par la virtualité, notamment l’absence de corporéité et de territorialité, voire la dématérialisation, qui déplacent les perceptions de la réalité, la communauté et l’identité.

Contrat Creative Commons
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